Disparition sur les quais – Episode 5/5

disparition sur les quais les copains by homie

2043, Matthieu raconte à son fils Lucas les tribulations de sa bande d’amis, 25 ans plus tôt.

Résumé des épisodes précédents : Matthieu et sa colloque Léa rejoignent William, FX et Lorenzo sur les quais d’Invalides. FX a rendez-vous avec une fille magnifique, mais se volatilise avant que celle-ci, accompagnée d’une amie, n’arrive. En dépit de leur « bro code », Lorenzo ne résiste pas au charme d’Inès et l’aborde avec son charme italien. Après l’avoir vainement cherché sur les quais, Matthieu reçoit un appel de FX. Ses explications confuses sont rompues par un cri de William, qui vient de l’apercevoir sur le pont Alexandre III…

Je regarde à mon tour en direction du pont. Est-ce l’alcool ? Le fait que le moment ne soit justement guère propice à la contemplation ? Mais je suis tout à coup frappé par sa beauté. Par sa courbe de lumière, par ses statues ailées, par ses candélabres qui dessinent un chemin de feu au-dessus de la Seine. Et je deviens très attentif aux couleurs, aux bruits autour de moi, à la magie de ce morceau d’été que je savoure en cachette, comme si quelqu’un me l’avait glissé sous la table. Lorenzo, Inès, Léa, William… je prends conscience de la futilité de nos histoires à côté de ce pont gigantesque, de son histoire à lui. Voyant FX apparaître derrière un pylône (un énorme pylône, qui a survécu aux guerres) je me sens tout à coup heureux et reconnaissant. Je ne saurais dire à l’égard de qui – du monde en général, peut-être. De vivre de petites aventures dans cet écrin superbe, jeune et en bonne santé.

Tu vois Lucas, je doute qu’FX ait eu ce genre de considérations en descendant l’escalier vers les quais. Je pense même qu’il aurait tout donné pour ne pas être là, pour être le plus loin possible de ce pont dont les flamboiements m’émerveillaient. Évidemment, je n’avais alors aucune idée de ce qui nous attendait ; le mystère de sa disparition restait entier. Mais son visage penaud, ses épaules voutées, le fait qu’il passât plusieurs secondes sur chaque marche, hésitant à descendre la suivante… tous ces indices me laissaient penser qu’il était coupable de quelque crapulerie.

Ce fut donc assez peu surpris que j’entendis Camille s’exclamer : « Kevin ! » tandis que l’artiste arrivait à ma hauteur, et encore moins surpris que je l’entendis répondre : « Hey, Camille ! » avec un aplomb désarmant. FX était ainsi : imprévisible, coriace, capable de se fourrer dans des situations en apparence inextricables, pour finalement s’en tirer d’une main de maître. Si Williams était notre « Aristote des Antilles », lui-même aurait pu être surnommé « l’Ulysse de Nogent-sur-Marne », ou « l’Ulysse du 9-4 ». Il avait la même malice, la même sagacité que le héros de Homère. Chaque soirée était pour lui un voyage, une odyssée durant laquelle se déployait la gamme de ses talents et de ses ruses. Nous avions classé ces ruses en trois niveaux, des plus ordinaires (niveau 3) aux plus risquées et inventives (niveau 1). Prendre un faux nom, par exemple, n’avait rien d’un exploit, et se rangeait sans débat dans la troisième catégorie. Malheureusement, comme tu le verras plus tard, FX ne s’était pas contenté avec Camille de ce simple artifice …

— Qu’est-ce que tu as encore fait ? lâche Léa à voix basse, entre ses dents serrées.

— Je vous raconterai… c’est compliqué.

Je le regarde descendre lestement les quelques marches menant aux quais, puis se diriger d’un pas confiant vers le reste du groupe. Léa et moi sommes sur ses talons.

En cet instant, je me demandais comment il allait bien pouvoir s’en sortir. J’étais à la fois extrêmement gêné par la situation, et pressé de connaître son dénouement. Il faut dire que le destin avait joué un joli tour à FX – un tour digne de sa victime, tout en rebondissements et en coïncidences. J’avais toujours pensé que ses fourberies ne pouvaient rester éternellement impunies. Le coup était à la hauteur de mes attentes.

— Inès… Camille… je crois que je vous dois des explications.

J’observe William et Lorenzo du coin de l’œil : ils sont à deux doigts du fou-rire.

— Je crois que tu dois à Camille bien plus que des explications, prononce Léa, qui n’a sur ses propres lèvres pas l’ombre d’un sourire.

— Oui, tu as raison, répond FX, sans perdre son indéboulonnable contenance.

Lucas, je crois que même atteint par la sénilité ou par Alzheimer, je n’oublierai jamais la scène qui suivit. D’un coup, tout se transforma : les yeux de FX, qui devinrent rouges et brillants, le ciel, dont les dernières lueurs moururent à l’horizon, et même le temps, suspendu à ces changements de décor tel un entracte inquiet et silencieux. J’eus la sensation que nous basculions dans une nouvelle dimension – cet instant décisif, dans une pièce, qui repose sur la prestation du personnage principal. Celle de FX fut un chef d’œuvre, digne de Depardieu dans Cyrano. Ne fais pas ces yeux : avant d’être premier ministre russe, c’était un très grand acteur !

« Je sais que je n’aurais pas dû… pour me protéger… beaucoup souffert… m’impliquer… tenais à toi… peur… me pardonner… » Fasciné, je n’entendais que des bribes de mots, qui chacun transformait les visages d’Inès et de Camille. La colère laissait place à l’indulgence ; le mépris à la compassion ; et le sentiment de s’être fait berner par une ordure, à celui d’avoir affaire à un cœur blessé, terrifié par l’engagement. FX allait s’en tirer. Peut-être même sortir grandi de cette affaire. J’étais médusé : même le destin ne pouvait rien contre lui. Plus tard, lorsque nous avons reparlé de cette scène, il m’avoua avoir eu cette inspiration en pensant à notre rencontre. « J’étais dans la même situation, il fallait que j’invente quelque chose. » Ça aussi, il faudra que je te le raconte. Sans les talents d’acteur de FX, nous ne serions certainement jamais devenus amis.

Était-elle naïve ? Vraiment amoureuse de lui ? Mais Camille a décidé de le croire et de lui pardonner. Léa, William, Lorenzo… nous étions tous abasourdis, tels des spectateurs cloués dans leur fauteuil, incapables de quitter la salle. Puis je me souviens qu’il s’est passé une chose étrange, tout à fait inattendue : Léa s’est mise à rire. Un rire léger, spontané, contagieux. Par ce rire, je crois que nous avons pris conscience de notre jeunesse. Peu importait, au fond, qu’FX fût sincère ou non. Inès et Camille pensaient sans doute qu’il l’était ; de notre côté, nous n’étions pas dupes. L’essentiel n’était pas là. Il faisait beau, Lorenzo plaisait à Inès, qui plaisait à FX, qui plaisait à Camille, la musique du Rosa voguait en notes éparpillées… quelles raisons avions-nous de crier au complot ? Tout, jusqu’au charme des relations printanières, était réuni pour passer une bonne soirée.

Ce que nous avons fait.

Jusqu’au bout de la nuit.

Une nuit alors loin d’avoir livré toutes ses promesses…

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